La
peur de l'inconnu nous accompagne depuis l'aube des temps. Plusieurs
avatars de l'épouvante se sont succédés afin de tenir ce rôle :
ainsi le Diable, la succube (et sa variante, la goule), la pieuvre
géante, la sorcière, le fantôme, le vampire ou encore,
l'extraterrestre à l'ère de la conquête spatiale. Mais une figure
est particulièrement populaire, et monte en puissance depuis environ
les années 1980 : celle du zombie. Elle imprègne à tel point
l'ensemble des catégories de l'industrie du divertissement, à
travers les films, les séries, les romans et les jeux-vidéos, qu'il
est difficile de passer à côté. Pourtant, il ne semble pas que
nous ayons pris la peine de nous interroger sur les raisons d'un tel succès.
Malheureusement, il est fort à craindre qu'à l'image du
zombie lui-même, ces dernières ne soient guère rassurantes. Certains
d'entre-nous ne s'en rendent pas forcément compte, mais le XIXe
siècle, à côté de ses grandes figures historiques, fut également
l'âge du vampire. Loin d'être né, sous sa forme moderne, sous la
plume de Bram Stocker (même si celui-ci lui donna ses lettres de
noblesse), le vampire, en tant que personnage charismatique, apparut
dès 1819 dans le récit de l'anglais John Polidori (1795-1821),
avant de revenir en 1897 dans le « Dracula » de Stocker qui
l'assimila à Vlad III Dracul, prince de la Valachie.
Bien
que le vampire soit un mort-vivant, ce qui fait de lui le cousin du
zombie, des différences fondamentales les séparent. L'un est
élégant, racé et charmant, l'autre en haillons, vulgaire, et
défiguré ; l'un est intelligent et très cultivé, possédant dans
son château une bibliothèque fournie, tandis que l'autre ne possède pas même de
conscience propre, partageant la sienne avec celle de sa meute, la
caractéristique profonde des zombies étant de ne pas se différencier les uns des autres ; l'un est solitaire, retiré dans les montagnes
et se maîtrise tandis que l'autre erre, sans but, parmi ses semblables, repérant
qui n'est pas comme lui et, le cas échéant, souhaitant
immédiatement lui nuire.
Le zombie est le monstre de la masse.
Le
vampire est celui de l'aristocratie.
À
l'époque, la figure du vampire, dont les origines remontent au début
du XVIIIe, s'inscrivait dans une époque culturellement raffinée,
recherchée, et ses caractéristiques (hormis son goût du sang...)
sont, en réalité, dans une certaine mesure, les reflets de son
siècle. Par exemple, le magnétisme érotique qui se dégage de
Dracula renvoie aux tabous de la morale puritaine de l'Angleterre du
dernier tiers du XIXe siècle, laquelle se caractérisait par une
grande retenue dans l'expression des sentiments ainsi que par le port
de vêtements aux couleurs sombres. Montrer un bout de peau était ainsi considéré comme
mal élevé.
Les
choses ont changé, l'époque aussi. Et si le succès du zombie
résidait dans le reflet qu'il nous renvoie de nous-mêmes ? Nos
sociétés traversent une profonde crise de sens et d'identité. Et,
à la manière de zombies, nous errons sans but et sans identité. En fait, le retrait
de la figure du vampire au profit du zombie réside peut-être là.
Nous entrons au plan symbolique dans une société de morts-vivants
d'où s'échappent, à grands traits, les trois piliers de la
civilisation occidentale, hellénisme, romanité et christianisme, au
bénéfice d'une stérilité culturelle. Alors que, depuis la seconde moitié du XXe siècle, la civilisation
occidentale s'érode à sa périphérie, elle n'en cherche pas moins
à se faire passer pour une culture vivante, susceptible de produire
les sources culturelles fécondes dont nous avons aujourd'hui besoin.
Elles pourraient bien entendu nous permettre de refaire société, mais à
condition de trouver les bonnes : ce que ne sont ni le
wokisme, ni le mouvement intersectionnel.
L'explosion
de la société, en vertu de l'exacerbation des différences
religieuses, de sexe et de race, n'augure rien de bon non plus que la
baisse du Quotient Intellectuel (Q.I.) en Occident, remarqué tant au
Royaume-Uni qu'en France, qu'en Norvège, qu'en Finlande et aux
Pays-Bas, jusqu'en Australie, causé par plusieurs facteurs
(notamment la présence de perturbateurs endocriniens dans notre eau de consommation,
et la disparition de la sélection naturelle par les efforts de la
médecine et de l'hygiène). À terme
s'annonce une société zombie, prise entre l'enclume du constructivisme et
le déclin de l'intelligence, si tant est que nous fassions encore société d'ici quelques années.
L'apocalypse
zombie a commencé.