mercredi 29 juin 2022

D'un ricochet l'autre : la loi, expression de la volonté générale


Dans notre tradition républicaine, le député représente la Nation ; la formulation initiale de ce principe remonte à l'article 29 de la Constitution de 1793 qui dispose, en réalité, non point que le député la représente, mais qu'il lui « appartient ». C'est aussi la conséquence logique de l'article 3 de la Déclaration de 1789. S'il avait été affirmé que le député ne représentait que sa circonscription seule, la contradiction avec cet article aurait été flagrante, car plusieurs corps de souveraineté indépendants les uns des autres auraient éclaté : les circonscriptions. Une fiction fut donc formellement élaborée : celle de la Nation assemblée. En effet, c'est bien parce que le député représente la Nation qu'il devient alors possible de prétendre que la loi votée exprime la volonté générale. D'où le fait que, dans la Déclaration des Droits de 1789 les constituants aient, précisément, énoncé que la loi est l'expression de la volonté générale dans un article consécutif et non précédent à celui qui consacre la souveraineté nationale, nul corps ni individu ne pouvant s'attribuer d'autorité qui n'en émane expressément.

De son côté, la Constitution de 1793 n'est pas aussi nette, aussi logique dans la disposition successive des articles consacrant les principes républicains. En effet, le constituant proclame d'abord, dans sa seconde Déclaration des Droits, que la loi est l'expression libre et solennelle de la volonté générale (art. 4). Subséquemment, il pose que la souveraineté, une et indivisible, imprescriptible et inaliénable, réside dans le peuple (art. 25), aucune des portions de celui-ci ne pouvant exercer la puissance du peuple entier (art. 26). Et c'est à l'article 29 de l'acte constitutionnel proprement dit, qu'est proclamé le principe selon lequel « le député appartient à la Nation ». Pour être logique, il aurait fallu inverser la place de ces énoncés : faire remonter les dispositions des articles 25 et 26 à la place qu'occupe l'énoncé de l'article 4 et faire rétrograder l'énoncé de l'article 4 à la place des articles 25 et 26.

Ce qu'il faut impérativement comprendre, c'est que l' « essentialisation » de la souveraineté dans la Nation et son principe corollaire, celui de l'unité et de l'indivisibilité de la souveraineté (art. 3 de la DDHC), est le postulat dont procèdent deux ricochets : le premier est celui du député dès lors contraint de représenter de la Nation (et qui fait de l'Assemblée Nationale la « Nation assemblée ») ; le second, qui découle directement du premier ricochet, est celui de la loi votée qui exprime la volonté générale, et non plus la volonté de tous (Rousseau la décrit comme étant « la somme des volontés particulières »).

 


 
Entre la souveraineté, une et indivisible, et la loi votée comme expression de la volonté générale, il y a donc un intermédiaire, celui du député représentant de la Nation. Pourtant, bien qu'absent de la Déclaration de 1789, il n'en procède pas moins de son article 3 et conditionne la validité du principe suivant, celui en vertu duquel la loi votée exprime la « volonté générale » (et, surtout, la volonté en sera d'autant plus générale qu'on la rattache à une fiction abstraite : la « Nation »). Que les rédacteurs de la Constitution de 1793 y ait énoncé que le député appartient à la Nation (art. 29) indique que ceux-ci avaient, malgré tout, conscience de cette logique, bien qu'ils aient selon nous introduit cette norme d'une manière illogique, ayant d'abord disposé, dans la nouvelle Déclaration des droits de 1793 annexée à la Constitution, que la loi votée est l'expression de la volonté générale, pour proclamer ensuite que la souveraineté est une et indivisible (art. 25-26), et inscrire dans la Constitution même que le député appartient à la Nation (art. 29). Symboliquement, et même si cela n'a peut-être pas été remarqué, ni à leur époque ni à la nôtre, cela reste fâcheux pour un document aussi solennel.

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