J'ai longtemps hésité avant de terminer cet article -presque deux ans. Voici quelques années que mon pantalon a quitté les bancs de la Faculté de droit -exception faite de mes tentatives à l'examen d'entrée à l'école des avocats, qui m'ont fait revenir dans une enceinte universitaire après mon année de Master 2. Sentiment étrange. Je garde un souvenir globalement bon de mes études à l'Université, des professeurs rencontrés et des cours qui m'ont été prodigués, hormis ceux d'histoire du droit et des institutions et d'introduction historique au droit (l'une et l'autre matières intégrant un contenu sensiblement similaire), à l'égard desquels je conserve ceci dit un certain scepticisme.
L'intitulé de cet article est volontairement polémique, parce qu'il permet de provoquer le débat. Mais son contenu est plus nuancé. J'aime l'histoire du droit : un peu moins son enseignement.
Des choses parfois fondamentales ne sont pas correctement enseignées. Des erreurs historiques sont proférées (mais à leur décharge, tout le monde en fait...). La première chose qui me vient à l'esprit porte sur la loi comme expression de la volonté générale : les professeurs de droit disent juste que la Révolution (1789-1799) entraîne le transfert de la souveraineté du roi à cette fiction juridique qu'est la Nation. Mais, si l'idée générale est correcte, Dieu sait que le raisonnement est, quand même, beaucoup plus subtil -et qu'il permet de comprendre pourquoi le député est l'élu de la Nation et non pas de sa circonscription. J'en parle dans cet article. Même le petit livre de Wanda Mastor (UT1) sur la DDHC de 1789, après vérification, n'en dit mot -un comble.
Également, il est à signaler que les explications relatives à l'expression de « juge du fond » manquent de pédagogie. Je n'ai moi-même, à ma grande honte, compris sa signification qu'en troisième année de Licence, les professeurs de L1 et de L2 répétant « les juges du fond » sans que je ne sache alors à quoi ces mots faisaient référence, ni ce qu'ils recouvraient. C'est plus tard, que j'ai compris que les juges du fond désignaient les juges de première et de seconde instance, alors que la Cour de Cassation et le Conseil d’État sont, eux, juges du droit, veillent à son respect et en garantissent la cohérence.
Mais, même là, l'essentiel n'est pas encore dit : l'important est de retenir que, si le juge d'appel est également un juge du fond, ce n'est pas du fond du jugement (donc du raisonnement du tribunal...), mais du fond de l'affaire d'origine ayant donné lieu au litige -par exemple, en matière administrative, le juge d'appel ne juge pas le fond du jugement de première instance, ce que l'on appelle son bien fondé, mais la décision administrative attaquée. Du jugement, le juge d'appel ne peut contrôler que la régularité, autrement dit si le juge de premier ressort a bien répondu à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant, sous peine d'omission à statuer et de renvoi en formation de jugement. A titre d'exemple, un juge du tribunal administratif de Montpellier (dont je ne dévoilerais pas le nom mais que l'on essaye d'isoler) est coutumier de ces omissions à statuer puisqu'il ne vérifie pas les décisions de justice qui lui sont rédigées par les « aides à la décision ».
En d'autres termes : peu importe le raisonnement juridique du tribunal tant que ce dernier a répondu à tous les moyens invoqués au soutien des prétentions du requérant, exception faite, évidemment, de la technique procédurale de l'économie des moyens en matière de recours pour excès de pouvoir (R.E.P), mais qui ne s'applique, en revanche, que lorsque le juge fait droit aux conclusions du demandeur (CE Sect. 21 déc. 2018, Société Eden, n°409678). A lire : cet article.
Le cours du Pr. Jacques Krynen, agrégé pourtant reconnu (une véritable institution à lui seul), n'est pas exempt non plus de telles tares. Son cours proposait un survol de la loi depuis l'Antiquité jusqu'à la Ve République, et d'aborder les enjeux contemporains qui sont les siens. Il y manquait des choses à l'évidence importantes, outre ce que j'ai expliqué sur le mécanisme par lequel la loi est consacrée, dans la France du XIXe siècle, en tant qu'expression de la volonté générale.
A titre d'exemple, aucune définition de la loi n'était donnée ; il est tout aussi vrai qu'une telle définition est, généralement, donnée en cours d'introduction générale au droit ou en droit constitutionnel -qui sont des matières enseignées en L1. Mais pour reprendre un dicton : la pédagogie, c'est la répétition ! Surtout, on m'accordera que le fait de ne pas définir la loi (j'entends, dans son acception moderne) dans un cours qui lui est justement consacrée est assez fort de café.
A regretter également, l'absence de développement sur le terme même de loi. En effet, celui-ci ne désigne pas la même chose, selon la matière où l'on se trouve. Naturellement, le distinguo le plus évident qui surgit à l'esprit est celui des lois juridiques et des lois dites « économiques ». Les lois juridiques se distinguent des lois économiques en ce qu'elles émanent d'organes de souveraineté, et sont contraignantes et obligatoires, tandis que les secondes sont des règles énonciatives émanant de la pensée économique, qui ont pour ambition de décrire et d'expliquer la réalisation et le développement du processus économique dans un espace et un temps déterminés (Benjamin Alfredo, 2022).
Cet usage du terme de « lois » pour désigner des phénomènes économiques récurrents semble naître au XVIIIe siècle. A l'époque, l'économiste écossais Adam Smith (1723-1790), qui admire le physicien Isaac Newton (1643-1727), ambitionne de découvrir les lois générales de l'économie en s'inspirant de son œuvre. Smith transpose ainsi les lois de Newton à la sphère économique (jusqu'à dégager une « loi de la gravitation » selon laquelle les prix fluctuent, sur les marchés, autour du prix naturel de chaque bien...), et il voit le monde des hommes comme Newton voit celui des corps astronomiques.
L'usage moderne du terme de « loi » pour désigner un texte juridique de caractère général, impersonnel et obligatoire, se rattache au mythe de la rationalité du législateur (que le Pr. François Ost définit ici comme l'idée que le législateur « serait cohérent, prévoyant, équitable, qu'il adapte au mieux les moyens aux fins, qu'il ne fait rien d'inutile »). Mais l'utilisation du terme de loi dans l'ordre juridique, ne renvoie pas au même usage que pour les lois de la sphère économique : cette loi-ci est normative, elle vise à régler le comportement et n'entend pas le décrire. En somme, elle énonce ce qui doit être, et non pas ce qui est : c'est la célèbre distinction méthodologique du « sein » et du « sollen ».
En revanche, le terme de loi tel qu'employé dans la terminologie juridique, peut se référer à deux caractères au moins des lois découvertes par les sciences dures (en physique ou en chimie, par exemple) : d'une part, leur généralité, puisqu'elles s'imposent à tous, et, d'autre part, leur cohérence, puisque ces lois combinées forment, en matière scientifique du moins, un ensemble logique et cohérent (l'Univers ne « tient » littéralement que parce que les lois qui le gouvernent sont remarquablement équilibrées et sont en adéquation les unes avec les autres).
Une telle cohérence peut d'ailleurs évoquer la présence d'une intelligence extérieure à l'origine de ces lois, et c'est peut-être même, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce sous-entendu qui motive et généralise (je souligne, car le terme de « loi » était déjà employé sous l'Ancien Régime, pour désigner les Lois Fondamentales du Royaume) l'usage du terme de loi dans la matière juridique : après tout, le législateur faisant œuvre de raison, ne pourrait-il pas se montrer aussi sage et éclairé, en déterminant quelles lois sont les plus adéquates au gouvernement de la Société, que Dieu l'a été en posant les lois de l'Univers ou de la Nature ? En effet, Rousseau « ... pense que le législateur doit posséder une intelligence supérieure, des aptitudes extraordinaires » (Michel Esdras Franck Miambazila), pour le rendre capable de ramasser et condenser l'esprit d'un peuple au sein d'un texte juridique. Je regrette qu'aucun professeur d'histoire du droit et des institutions (ou d'introduction générale au droit) n'ait pris la peine de développer cet aspect.
Naturellement, l'élaboration d'un cours est une œuvre difficile, particulièrement peut-être dans l'aridité dont le droit peut quelquefois faire montre. La grande qualité et la cohérence d'un cours sont une affaire d'équilibre, et la pédagogie, à savoir les moyens employés pour faire passer le message, est importante. Mais, sans ligne directrice, l'histoire du droit ne se résume peut-être plus qu'à « un récit plein de bruit et de [lois] raconté par un idiot, et qui ne signifie rien ». Matière exigeante, elle l'est peut-être plus que toutes les autres.